Le génocide au Rwanda : l’humanisme à l’épreuve

Par Claude FISCHER HERZOG
Présidente d’EURAFRICLAP et Directrice d’ASCPE,
Les Entretiens Européens & Eurafricains

Je suis à Montréal, pour le festival « Vues d’Afrique » qui a commémoré hier soir le 25e anniversaire du génocide au Rwanda, devant une salle comble de la Grande bibliothèque en présence de Mme Shalilla K.Umutoni du Haut-Commissariat du Rwanda au Canada, et de personnalités canadiennes et belges.

Celles-ci ont demandé pardon au peuple rwandais pour avoir contribué au génocide des Tutsis. Ce génocide nous concerne tous a pu dire un intervenant, mettant en garde sur la reproduction de l’horreur quand on ne sait pas tirer les enseignements de l’histoire.

Vérité et justice sont des conditions obligées avant toute réconciliation, et j’ai honte pour la France quand son gouvernement – non seulement ne demande pas pardon – mais ne reconnaît pas l’implication de nos dirigeants dans ce drame épouvantable.

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Shalilla K.Umutoni du Haut-Commissariat du Rwanda au Canada
et Claude Fischer Herzog

Assumer nos responsabilités historiques

Bernard Kouchner a le mérite de ne pas la nier. Mieux, il a alerté François Mitterrand à l’époque, comme d’ailleurs plusieurs militaires dont le Général Jean Varret dès 1993, raconte Laurent Larcher dans son livre « Rwanda. Ils parlent »*. Mais Mitterrand « n’a pas voulu voir », sans doute par mépris de la réalité, mais aussi parce qu’il avait pris position pour Mobutu et les Hutus qu’il a armés, refusant aux Tutsis de se défendre. 1 047 017 morts recensés officiellement… mais Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée, ne regrette rien et a sa conscience pour lui ! Hier soir un Casque Bleu canadien racontait en pleurant son impuissance devant les crimes, l’ordre étant de ne pas intervenir.

Les Français sont persuadés que le génocide des Tutsis concerne les seuls Rwandais. « Ils se sont entre-tués : c’était une guerre civile entre ethnies ». Macron ne dit pas autre chose quand il refuse de se rendre à Kigali et envoie un député, français et rwandais, à la commémoration organisée par le président Kagamé. Le président français nomme une commission d’enquête (dont les membres pour certains ne connaissent pas l’Afrique !) qui doit examiner les archives françaises (!) afin de faire la lumière sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 à 1994 : encore une façon de fuir nos responsabilités et ne pas se remettre en cause. Et faire du 7 avril une journée de commémoration en France semble bien hypocrite quand ces crimes contre l’humanité ne sont pas reconnus et que des génocidaires peuvent vivre en toute tranquillité dans notre pays.

Les combats courageux et nécessaires doivent s’accompagner d’une éducation de masse

Certes, des Français luttent pour une reconnaissance et que la justice soit faite : on saluera ici le combat d’Alain et Defroza Gauthier qui y consacrent leur vie. Mais qui connaît le Collectif des parties civiles pour le Rwanda qu’ils animent pour faire condamner les tueurs et commanditaires des massacres qui continuent d’échapper à la justice et vivent libres, dont certains sur le territoire français ?

Saluons aussi le formidable travail du jeune cinéaste Christophe Cotteret qui a réalisé une genèse du génocide dans son documentaire « Inkotanyi » que nous avons eu la fierté de montrer à Paris… et à Bamako pendant le festival Une semaine Eurafricaine au cinéma en 2018 : ni les Français ni les Africains ne connaissent l’histoire du Rwanda. Aujourd’hui, sous la conduite de son charismatique président, le pays renaît et fait parler de lui, mais tout est fragile.

La France a toujours été ambivalente dans son histoire, et si tous les Français ne sont pas à « mettre dans le même sac », la clarté sur nos responsabilités historiques n’a jamais été faite, et nous préférons valoriser – après coup – ceux qui ont combattu l’horreur que d’assumer nos fautes et d’éduquer les générations pour éviter que l’humanité ne sombre de nouveau dans l’horreur et la tragédie.

Comment faire pour que les jeunes générations – qui souhaitent tourner les pages et regarder vers l’avenir – ne reproduisent pas les fautes, s’est interrogée une femme cambodgienne, s’ils elles non plus ne veulent pas connaître leur passé ? Les initiatives de la société civile – dont les festivals de cinéma – sont nécessaires mais elles seront insuffisantes, voire vaines, s’il n’y a pas une éducation de masse dans nos écoles et nos sociétés pour comprendre et endiguer le mal.

Vérité et justice pour sauver l’humanité

De trop nombreuses réactions de Français qui appellent le gouvernement à ne pas s’en mêler nous font honte : c’est en assumant nos responsabilités et notre devoir de mémoire que la France retrouvera son honneur ! Car le déni de la réalité conduit au négationnisme, à l’œuvre dans nos sociétés. C’est vrai pour le génocide des Tutsis, c’est vrai pour le génocide des Juifs confrontés de nouveau à un antisémitisme en France et en Europe qui les oblige à fuir.

Qu’apprend-on de notre propre histoire quand on gomme toute la partie qui nous dérange ? Au lieu de chercher à se disculper – ou renvoyer la faute aux gouvernements d’hier – nos chefs d’Etat devraient unir toutes leurs forces pour que la vérité soit reconnue et que la justice puisse se faire. Sinon, et sans vouloir être « oiseau de malheur », l’humanité court à sa perte et nul doute que de telles horreurs se reproduiront. Après les Indiens, les Arméniens, les Cambodgiens, les Juifs, les Malgaches, les Tamouls au Sri Lanka et les Tutsis, d’autres peuples, d’autres boucs émissaires, feront les frais de la folie de domination des hommes.

Fait à Montréal le 7 avril 2019

*Rwanda, ils parlent, témoignages pour l’Histoire – Laurent Larcher, Edition du Seuil (mars 2019).